Hervé Renard, un nouveau sorcier blanc qui assombrit l’avenir des sorciers noirs?

Crédit: senego.com
La CAN 2015, c’est fini. Après quatre semaines de ferveur footballistique, on éteint les projecteurs et on passe au bilan. La coupe ayant choisi son camp, l’équipe championne n’a pas manqué de fêter comme il se doit sa victoire. Au pays des Eléphants sacrés champions d’Afrique après 23 ans de disette, les supporters autrefois masos se sont carrément enjaillés comme on dit là-bas. Tout Abidjan était noir de monde, assailli par une foule d’un million de personnes qui s’étaient massées pour accueillir leurs héros. Pendant que la fièvre retombe peu à peu, j’ai voulu m’intéresser ici aux incidences du sacre ivoirien quant au regard porté sur les entraîneurs locaux en Afrique.
Si la victoire des joueurs ivoiriens est un succès collectif à inscrire au palmarès de l’équipe, elle compte aussi pour le palmarès de leur entraîneur français Hervé Renard. Ce dernier entre dans l’histoire du football africain en remportant deux fois la CAN avec deux équipes différentes. Un succès historique qui suffit à le faire passer pour le « Jose Mourinho africain » et à lui attribuer le titre de nouveau « sorcier blanc ». C’est en tout cas par ce dernier terme que l’on désigne les entraîneurs expatriés qui ont du succès à la tête des équipes africaines. Au cours de la compétition Hervé renard s’est distingué par son style particulier, sa capacité à insuffler la culture de la gagne à ses poulains comme il l’a fait avec la Zambie en 2012. En quelques jours, il a galvanisé ses joueurs et la magie a opéré sur la pelouse. Ce résultat n’est que de nature à entretenir le mythe du « sorcier blanc » qui a de tout temps prévalu dans beaucoup de pays africains.
La saga des sorciers blancs
Avec le coach des Eléphants, c’est une véritable saga des sorciers blancs qui se poursuit en Afrique. Bien avant lui l’Afrique a connu des expatriés qui par leur réussite ont écrit de belles pages de l’histoire du football continental. Les plus célèbres des devanciers d’Hervé Renard sont:
–Phillipe Troussier: son parcours en Afrique débute en Côte d’Ivoire, en tant qu’entraîneur à l’ASEC Mimosas à Abidjan, où il remporte trois titres consécutifs entre 1990 et 1992 et où il resta invaincu pendant 105 matchs. Après avoir entraîné l’équipe nationale ivoirienne il se rend au Maroc où il remporte avec le FUS Rabat la Coupe du Trône en 1995.
En 1997, Troussier contribue à la qualification des Super Eagles du Nigeria pour la Coupe du monde 1998. Il a aussi conduit le Burkina Faso à sa première demi-finale de CAN en 98.
–Claude Leroy : son aventure africaine débute au Cameroun en tant que sélectionneur national. Il remporte la CAN en 1988 contre le Nigeria. En 2006, il atteint les quarts de finale de la CAN avec la RDC. Il sera par la suite sélectionneur du Ghana qui termine 4e de la CAN que le pays organise en 2008. Infatigable voyageur, il participe à la dernière CAN en Guinée équatoriale avec le Congo qu’il conduit en quarts de finale.
Malheureusement le mythe du « sorcier blanc » influence souvent les fédérations nationales dans le choix du sélectionneur national. Bon nombre de fédérations réservent la part belle aux entraîneurs expatriés au détriment des nationaux dont les compétences sont sous-évaluées. On préfère s’attacher les services du coach européen qui est vu comme étant plus compétent que le coach local. Les fédérations ne lésinent pas sur les moyens pour lui offrir de bonnes conditions de travail. Le coach local lui, quand il a la chance d’être recruté, n’a pas toujours droit au même traitement ni à la même liberté dans son travail. D’ailleurs c’est souvent dans l’urgence, à la hâte qu’il est sollicité pour assurer l’intérim après le départ du sorcier blanc. La nette préférence pour les expatriés est une fois de plus démontrée à la dernière CAN où sur 16 équipes, 13 étaient entraînées par des expatriés contre seulement 3 locaux.
La discrimination des sorciers noirs ou africains
La forte présence d’expatriés n’a pas toujours occulté les qualités des nationaux, car il y a bien ceux qu’on peut qualifier de « sorciers noirs ou africains ». Malgré les difficultés endurées dans leur travail certains nationaux ont rayonné autant que les expatriés. Ils ont démontré qu’ils étaient aussi compétents que leurs collègues européens. L’histoire a été marquée par des noms comme :
–Hassan Shehata : il est devenu une légende de la CAN à la tête de l’équipe égyptienne de football dont il a pris les rênes en 2004. Il est le seul entraîneur à avoir remporté 3 CAN consécutives en 2006, en 2008 et en 2010. Grâce à cet exploit, il a fait de l’Egypte la nation la plus titrée de toute l’histoire de la CAN.
–Yeo Martial : de nationalité ivoirienne, il a conduit les éléphants à leur premier sacre à la CAN 92 après une finale épique contre le Ghana.
–Stephen Keshi : ancien capitaine des Super Eagles du Nigeria, il embrasse une carrière d’entraîneur dont le début fut retentissant. Sollicité d’abord au Togo il réussit à qualifier les Eperviers pour leur première Coupe du monde en 2006. De retour dans son pays il prend la tête des Super Eagles. Malgré des rapports difficiles avec la fédération il réussit à remporter la CAN 2013 avant de décrocher une qualification pour le mondial 2014 où il atteindra les huitièmes de finale pour un match perdu contre la France.
Parmi les entraîneurs africains à succès, Florent Ibengé de la RDC ne mérite pas moins d’être cité. Il a déjoué les pronostics en arrachant la 3e place à la dernière CAN avec des joueurs à qui il a imposé une discipline.
Même s’ils sont plutôt rares, ces exemples sont la preuve que les sélectionneurs africains sont aussi capables de relever le pari de la réussite et de donner satisfaction au public. Il est tout de même malhonnête d’exiger beaucoup de leur part quand ils n’ont pas droit à des conditions de travail acceptables. Si les coachs à succès sont essentiellement des expatriés c’est parce qu’ils ont la confiance de leurs employeurs qui mettent tous les moyens à disposition. Sur 29 éditions de la CAN, 16 ont été gagnées par des techniciens étrangers. Bien que défavorable aux locaux cette statistique ne signifie pas pour autant qu’ils sont moins bons que leurs collègues européens. Les choses sont ainsi parce que le choix d’un entraîneur semble être une affaire de nationalité ou de couleur de peau plus qu’une question de compétence. Ainsi, c’est seulement lorsqu’on commencera à juger les entraîneurs selon leur qualité que davantage de locaux se verront offrir la chance de faire leur preuve. Pour l’heure, il ne faut pas se leurrer et les locaux devront attendre encore le changement de la donne, car au vu des résultats de la dernière CAN la fin du mythe du « sorcier blanc » n’est pas pour demain.
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