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La Francophonie, Molière et les langues nationales


Écolier malien
Photo: Olivier EPRON, Février 2005 (source: wikipedia.org)

Aujourd’hui c’est jour de fête pour la Francophonie. Au-delà du fait que le français représente un patrimoine commun pour les pays membres, l’espace francophone est aussi marqué par une grande diversité de cultures, et de langues. Loin de vouloir gâcher la fête, je me permets à cette occasion de placer ici un mot sur la place des langues nationales dans les pays africains francophones.

Cela ne vous aura pas échappé que le français est la langue officielle de ces pays. Mais sur ce point je préfère relativiser depuis que j’ai reçu en pleine figure, lors de mon premier séjour à Dakar, une leçon que je ne suis pas près d’oublier.

La leçon de Dakar

Arrivé tout enchanté dans la capitale, je pensais déjà à comment profiter pleinement du séjour puis tout à coup je constate un pétit bémol en ouvrant ma valise.  Un des pantalons qui y étaient rangés avait la braguette endommagée. (Ne pas rire trop fort hein. Que le premier gars qui n’a jamais connu ça me jette la première pierre). Je le mis alors rapidement dans un sac et partit à la recherche d’un couturier. Un mal pour un bien, avais-je pensé car en bon touriste curieux, je pouvais commencer à découvrir la ville en arpentant les rues dakaroises. Au bout de plusieurs minutes de marche, j’entreprends de demander à un commerçant se tenant devant sa boutique près du trottoir.

« Bonjour. Connaissez-vous un couturier dans les parages ? »

A ma grande surprise, il me fait une réponse en wolof accompagnée d’un hochement de tête qui me fait deviner qu’il ne pouvait rien pour moi. Je tente encore de me renseigner auprès d’un passant et rebelote. Il me répond aussi dans un wolof dont je ne comprenais pas un seul mot.

Sur le coup je me croyais embarqué dans une mission impossible mais je finis par trouver une issue heureuse quand quelques mètres plus loin je tombai sur un jeune homme qui m’indiqua du doigt un petit atelier de couture de l’autre côté de la route.

Quand venait le moment de m’adresser à un chauffeur de taxi et de négocier le tarif, j’ai dû mon salut à la formule courante apprise à travers Samantha, habitante de Dakar : « nanga deff…niatala* ? »

J’en ai retenu que ce pays était en réalité plus wolophone (si vous permettez le terme) que francophone.

A quoi nous sert la langue de Molière ?  

J’ai été bien impressionné par la domination flagrante du wolof, mais je dois admettre que même à Lomé le français n’est pas aussi roi qu’on peut le penser. Il est certes présent à l’école, à l’université, sur les médias ou dans les milieux professionnels mais ce que j’entends au quotidien dans la rue n’est pas tout à fait la langue chère à Molière. J’ai plutôt l’habitude d’entendre un patois, un savant mélange du mina* et du français. Et en quittant la ville pour les villages, je me rends compte que là-bas, les gens s’expriment plus aisément en leurs propres langues qu’en français qui semble réservé aux non-autochtones.

Maîtriser sa langue c’est bien mais quand on ne comprend que celle-là, on peut se retrouver  handicapé dans certaines situations. On peut se sentir limité dans ses rapports avec le monde extérieur. L’expérience vécue à Dakar me fait d’ailleurs penser qu’avec nos langues nationales, il est encore plus difficile de communiquer avec des étrangers. On se fait mieux comprendre des gens issus d’autres peuples d’Afrique et d’ailleurs avec le français, pour la simple raison que cette langue est plus parlée dans le monde que le wolof ou d’autres langues nationales. C’est en tout cas une réalité indéniable que le français que nous avons en partage dans l’espace francophone fait partie des langues internationales, des langues officielles de l’ONU (pourquoi pas le swahili*?).

En raison de la place du français dans le monde, son apprentissage et son usage ne présentent pas seulement un enjeu culturel. Il est aussi question d’enjeu géopolitique selon les intérêts de tel ou tel autre pays. Comme en témoignent l’adhésion du Ghana, pays anglophone, à l’OIF en tant qu’Etat associé, l’enseignement obligatoire du français du cours primaire au secondaire envisagé par le président ghanéen, et la nomination à la tête de l’OIF de Louise Mushikiwabo du Rwanda, où le français n’est que la 3ème langue officielle. Le Ghana entouré de pays francophones et le Rwanda plus ouvert à la coopération française y trouvent surement leur compte.

Que faire de nos langues nationales ?

En Afrique francophone, la nécessité de savoir lire, écrire et s’exprimer en français va de soi, mais elle ne devrait pas pour autant faire oublier la place des langues nationales. Malheureusement j’ai l’amère impression qu’au Togo, la primauté de la langue de Molière, seule langue de travail et principale langue d’enseignement a conduit la plupart à porter un regard condescendant sur les langues nationales. Elles semblent méprisées dans les espaces de débat public, par certains médias et dans les lieux de diffusion du savoir. Il y a même des écoles où les enseignants se vantent de punir des élèves s’exprimant en langues locales. De quoi me faire oublier que ces langues sont quand même programmées dans l’enseignement comme matières facultatives.

Pourtant chaque fois que je retrouve la revendeuse d’ayimolou* bien chaud pour m’offrir un bon plat matinal, ce n’est pas en français que je passe ma commande. Rares sont ses clients qui le font d’ailleurs même si la revendeuse comprend bien le français. C’est dire que les langues locales restent bien présentes dans notre quotidien.

Je ne suis pas pour une guerre des langues (qui ne sont pas logées à la même enseigne de toute façon). Je pense qu’au Togo comme dans d’autres pays, il serait judicieux d’assumer la place des langues nationales dans nos sociétés et leur valeur en tant qu’éléments du patrimoine culturel.

Certains pays l’ont compris. Le wolof et d’autres dialectes ont leur place au parlement. Depuis bien des années au Sénégal ou au Ghana par exemple, il n’est pas rare qu’un président s’exprime en langue locale sans le moindre complexe.

Pour exister culturellement, ces pays tout en restant membres à part entière de la francophonie, auraient intérêt à faire vivre les langues nationales dans leur système éducatif et dans les livres. Je ne sais pas s’il y a au moins une œuvre déjà écrite dans une langue locale, à part la bible et le dictionnaire. Pourquoi ne pas en produire davantage ou traduire des œuvres d’auteurs togolais ? Encore faudrait-il que les uns et les autres sachent lire dans ces langues. On aura beau produire des livres en éwé* ou en kabyè* mais tant que l’apprentissage des langues locales  ne sera pas systématique, ces œuvres ne serviraient à rien.

Il ne s’agit pas forcément d’en faire des langues officielles au même titre que le français. Pas tout à fait évident pour des pays qui comptent une kyrielle de langues. Il s’agit plutôt d’œuvrer à évoluer d’un regard condescendant à un regard décomplexé sur ces langues qui font partie intégrante de ce qui nous définit.

Et qui sait ? Peut-être qu’en y parvenant un jour dans mon pays, on pourrait voir le président ou son ministre s’adresser publiquement à ses concitoyens en éwé, kabyè* ou kotokoli* si ça le chante.

Gbégné djanyi* !

Nanga deff…niatala?* : Bonjour…c’est combien? (en wolof)

Mina*: Langue parlée au sud du Togo et du Bénin

Swahili*: Langue d’origine bantoue qui compte le plus grand nombre de locuteurs en Afrique

Ewé*: Langue parlée au sud du Togo et du Ghana

Kabyè*: Langue parlée au nord du Togo, du Bénin et du Ghana. Elle est attribuée au peuple du même nom (kabyès)

Kotokoli*: Langue attribuée aux Tems, un peuple de la région centrale du Togo.

Ayimolou*: mélange de riz et d’haricot, très consommé à Lomé.

Gbégné djanyi*: Littéralement en français « ma parole est tombée ».  Expression utilisée en mina pour marquer une conclusion.


Les grands gagnants de la coupe du monde 2018 à Lomé

Crédit: AP Photo/Matthias Schrader

 

Cela ne vous aura pas échappé, à l’heure où vous lisez ce billet, le mondial russe de football se poursuit sans les équipes africaines. Si, depuis leur élimination au premier tour, certains montrent moins d’intérêt à suivre la compétition, d’autres y trouvent leur compte. Car pendant que les supporteurs déçus grincent des dents, d’autres comptent paisiblement les billets d’argent glanés pendant ce mondial : il s’agit des vendeurs de maillots et propriétaires de bars. Pour moi, à Lomé, ce sont eux les vrais gagnants du mondial.

Cet événement sportif largement suivi qu’est la coupe du monde de football ne suscite pas seulement des émotions dans les rangs des spectateurs. Elle génère aussi quelques profits. C’est donc une aubaine pour quiconque cherche à booster ses affaires. Les commerçants de Lomé l’ont vite compris, et ont tout mis en œuvre pour faire recette.

La projection de matchs dans les bars, un choix gagnant

Dans les bars, la projection des matchs est devenue une méthode imparable pour attirer la clientèle et stimuler la fréquentation. Difficile pour tout usager de la route d’ignorer le déroulement d’un match. Il suffit d’un petit tour dans les quartiers pour apercevoir des bars en plein air où de nombreux clients suivent attentivement un match, installés face à une bonne bière fraîche. À chaque occasion de but, les clameurs attirent l’attention des passants, et la plupart d’entre eux s’attroupent devant l’écran.

Des passants arrêtés devant un écran
Crédit: eli.mondoblog.org

Pour tout bon amateur de foot, il n’y a pas meilleur endroit qu’un bar branché. C’est par excellence le lieu où se retrouvent les passionnés qui aiment jouer aux entraîneurs le temps d’un match. C’est là que les supporteurs jouent leur match à eux, celui des commentaires et des critiques. L’envie m’a d’ailleurs déjà pris d’aller goûter à la folle ambiance d’un de ces bars en compagnie de quelques potes, avec un bon breuvage pour se rafraîchir la gorge. Dans ces occasions là, les plus heureux ne sont pas cette masse de clients venue vivre comme moi sa passion tout en sirotant de la bonne bière. Le plus heureux, c’est sans doute le propriétaire du lieu, qui voie ses poches se garnir toujours un peu plus.

Un soir de match au bar de Roméo 

A quelques heures du match Brésil-Belgique comptant pour les quarts de finale, Roméo, le gérant d’un bar au nord de Lomé, s’affaire au comptoir. D’un air concentré il s’active à préparer une soirée de foot qui s’annonce animée. Tous les détails sont passés en revue : liste de boissons disponibles, meubles, sonorisation et surtout le vidéo projecteur.

Roméo, gérant de bar
Crédit: eli.mondoblog.org

Nous avons l’habitude de projeter les matches lors des grandes compétitions, comme la Coupe d’Afrique des Nations ou la ligue européenne des champions. La diffusion des matchs du mondial allait donc de soi. Beaucoup de clients viennent suivre ces matchs le soir, au retour du boulot, et pendant le week-end. La Coupe du monde nous a d’ailleurs permis de constater une légère augmentation de nos bénéfices.

me confie-t-il lorsque je lui demande quelles sont les retombées des projections pour son bar.

L’affluence constatée ce soir-là donne raison à Roméo. Dès le coup d’envoi du match, des clients sont venus s’installer dans ce bar bien éclairé par la lumière des hauts lampadaires dressés à proximité.

Crédit: eli.mondoblog.org

Très vite, la place est investie par les amateurs du spectacle diffusé sur l’écran.

Pour Roméo, il y a surement de quoi se frotter les mains.

 

Les maillots du Nigéria vendus comme des petits pains

Et que dire des vendeurs de maillots ? Eux aussi ont su profiter de la passion autour de cet événement ! Bien avant le début de la compétition, certaines boutiques exposaient déjà quelques maillots, notamment ceux du Nigéria, du Sénégal ainsi que d’autres équipes dites favorites.

Au grand marché de Lomé, beaucoup de commerçants ont misé sur la vente du maillot du Nigéria, très apprécié pour son design particulier. Et ç’a carrément été la ruée vers ces maillots du Nigéria ! Face à cette forte demande, les vendeurs se sont frotté les mains. Certains en ont même abusé en faisant varier les prix à leur guise, de 5000 F à 7000 F. Les plus malins ont proposé des maillots personnalisés : l’acheteur se voyait proposer de faire imprimer au dos de son maillot un nom et un numéro de son choix, à raison de 250F la lettre et 300F le chiffre. Rien que ça !

Porté par la fièvre footballistique, je n’ai pas résisté longtemps à la tentation de m’offrir mon propre T-shirt. Je suis donc parti à la recherche du nouveau maillot clinquant du Nigéria, personnalisé. Puis je l’ai arboré fièrement, histoire de me sentir dans la peau d’un joueur. Petit plaisir pour un footeux !

Credit: eli.mondoblog.org

Il faut tout de même noter que les profits de cette vente n’ont duré que le temps des prestations du Nigéria dans cette compétition. Une fois le Nigéria éliminé, le maillot semble avoir pris un coup sur le marché. Pour m’enquérir de cette réalité, j’ai fait une petite virée dans la boutique d’Ahmed.

A l’entrée de sa boutique située dans le quartier de Klikamé, trône un mannequin en plastique avec le maillot du Nigéria.

Crédit: eli.mondoblog.org

 

Assis dans son établissement garni de vêtements sportifs, Ahmed était lui-même vêtu du maillot bleu de la France (photo ci-dessous).

La boutique d’Ahmed
Crédit: eli.mondoblog.org

Le jeune vendeur reconnait avoir fait quelques recettes.

Pendant cette coupe du monde j’ai vendu beaucoup de maillots du Nigéria. Ce sont essentiellement des étudiants qui sont venus en acheter.

affirme-t-il avant de relativiser :

A part les maillots du Nigéria, je n’ai pas vraiment pu vendre ceux des autres équipes. Avec l’élimination du Nigéria les ventes ont un peu chuté. Il est maintenant plus difficile d’écouler le stock qui reste.

Quant à moi, je garde malgré tout ce maillot comme un souvenir de cette coupe du monde.

Les réseaux sociaux, un véritable outil commercial

Il y a aussi ces vendeurs qui ont choisi de mettre à contribution les réseaux sociaux dans leur stratégie marketing. Des annonces sont publiées sur Facebook ou sur whatsapp pour une publicité directe et efficace de leurs maillots.

Capture d’une annonce publiée sur Facebook

 

Dans un pays où le paiement en ligne n’est pas suffisamment ancré dans les habitudes, les réseaux sociaux restent les principaux canaux numériques par lesquels les commerçants font la promotion de leurs produits.

Cela permet à ces vendeurs de maillots ont la possibilité de toucher plus rapidement leur cible, et leur offre un moyen de négocier les prix à distance.

 

En ce moment, le bonheur de tout propriétaire de bar ou vendeur de maillot serait donc de voir la compétition durer aussi longtemps que possible. Mais la différence est grande entre ces commerçants et nous autres amoureux du ballon rond qui nous contentons de savourer le spectacle. Car quel que soit le score du match, ils tirent toujours leur épingle du jeu avec quelques sous empochés.

Dans un match, il est d’usage de souhaiter que le meilleur gagne, mais le commerçant lui souhaite avant tout de gagner de l’argent. Et c’est de bonne guerre.


Outrage à l’amour (II)

Credit: pixabay.com

Pendant un bon moment Patrick resta immobile devant ce papier qu’il examinait avec des yeux incrédules. Par la suite, il comprit qu’il s’agissait de la copie d’une demande d’assignation adressée à un huissier pour le faire comparaître dans une affaire d’harcèlement sexuel.

Il n’en revenait pas. Cette demande était bien de Yawa, signée de sa main. La même main qu’il a  embrassée au cours de ces nuits de pleine jouissance partagées ensemble. Comment ont-ils pu en arriver là ? Comment peut-elle lui faire une chose pareille ? Qu’a-t-il fait pour mériter un sort aussi cruel ?  Tant de questions traversaient son esprit qui cherchait en vain une explication à cette situation rocambolesque.

Avec des mains tremblantes il plia le papier et le rangea dans son sac. Le murmure des élèves qui montait dans la salle s’arrêta quand Patrick se leva de sa chaise pour prendre la parole.

-Chers élèves, nous en resterons là pour aujourd’hui. En attendant de vous retrouver à la prochaine séance, je vous conseille de ne pas laisser ce petit incident troubler votre concentration. A bientôt.

Visiblement pas d’humeur à continuer le cours, il quitta précipitamment la classe pour rentrer chez lui.

A son passage dans la cour du lycée, tous ceux qui bavardaient à son sujet se taisaient et le fixaient d’un regard noir. Le genre de regard qu’on jette sur quelqu’un qui vient de commettre un forfait. A la place d’un juge ils seraient prêts à le condamner sur le champ. Sa présomption d’innocence ils s’en moquent bien.

Pour eux il n’y a rien de bien étonnant. D’ailleurs ces enseignants vicieux qui ont pour loisir de courir après la chair fraiche des jeunes élèves, on en voit dans d’autres écoles à Lomé. A leurs yeux Patrick n’était donc qu’un membre de cette bande d’enseignants à la libido incontrôlable qu’ils avaient réussi à démasquer.

Le soir venu, un huissier s’introduit chez lui pour lui remettre une lettre l’informant de sa convocation au tribunal correctionnel qui faisait suite à la plainte de Yawa. Il alla immédiatement rencontrer Edem, un vieil ami devenu avocat pour lui raconter tout ce qui s’est passé jusqu’au dépôt de cette plainte.

« 1 an à 3 ans de prison, une amende d’1 million à 3 millions de francs CFA. Voire plus s’il y a des circonstances aggravantes ». C’était selon les termes de Edem ce que son ami pourrait encourir comme sanction s’il était reconnu coupable dans cette affaire.

-Je ne vois pas comment elle pourrait avoir gain de cause. Cette affaire est totalement insensée, ajouta-t-il, avant de garantir à Patrick sa détermination à assurer sa défense.

Dans une nuit profonde, à une semaine de l’audience au tribunal, Patrick pensif sur son lit sentit son portable vibrer. Il saisit l’appareil et vit sur l’écran un appel en cours signalé. Le numéro affiché lui était inconnu mais il prit la peine de décrocher. De l’autre bout du fil émana une salutation d’une voix féminine qui lui sembla familière.

-Bonsoir Patrick. Entendit-il.

-Yawa, c’est toi ?

Tout en esquivant la question, l’interlocutrice fit une réplique qui en dit long sur son identité.

-Je n’appelle pas aujourd’hui pour servir des alibis. Nos liens se sont détériorés et j’en suis consciente. La rigueur qui me semblait excessive dans tes évaluations, tous ces échecs successifs m’ont fait douter de ton intérêt pour moi. J’ai éprouvé une colère que j’ai eu du mal à contenir et qui m’a fait dire des choses qu’au fond je ne pensais pas à ton sujet. Je t’en ai beaucoup voulu, mais pas au point d’aller à un procès. La plainte c’est une initiative de papa qui s’est mis dans tous ses états quand je lui ai parlé de notre liaison. Il était convaincu que tu cherchais à abuser de moi et que je n’avais pas toute ma tête. J’en suis désolée.

-Mais..mais je ne comprends pas. Pourquoi avoir signé cette….Allo !

Il tenta à peine de lui répondre quand elle raccrocha aussitôt. Les mots de Yawa lui apportaient une petite lumière sur cette situation absurde mais n’y changeaient pas grand-chose. Son honneur et sa réputation étaient toujours compromis.

Le premier jour de sa comparution au tribunal lui fit d’ailleurs sentir toute la fureur du fameux père de Yawa. Patrick était sur le point de s’installer dans la salle d’audience quand ce dernier, les poings fermés, surgit et s’avança vers lui comme un chien enragé prêt à en découdre avec un chat.

« Espèce de salopard. Je vais te régler ton compte, tu verras ! », lança cet homme colérique. Patrick a dû son salut à des agents de police qui se sont interposé pour calmer les ardeurs du bouillant père. Du côté de la partie plaignante, deux hommes étaient présents : un avocat et le père de Yawa, cet homme visiblement âgé dans un costume noir qui cachait mal son ventre bouffi. Aucune trace de Yawa pendant tout le procès qui dura deux jours. Aux dernières nouvelles, elle aurait quitté le lycée pour un autre établissement. Au cours de l’audience, son père s’est plus illustré par des écarts de langage que par des arguments pertinents pouvant convaincre le juge. Quant à Patrick qui plaida non coupable, il s’est employé à nier en bloc toutes les accusations.

Au bout d’un débat contradictoire le juge faute de preuves, acquitta Patrick.

La séance étant levée, Patrick entre soulagement et remords s’approcha du père déçu du verdict. Avec un peu de peur au ventre il lui adressa ces mots :

-Je suis sincèrement navré par la tournure de cette affaire. Je n’ai pas harcelé votre fille, mais j’ai nourri des sentiments qui n’avaient pas lieu d’être. Je réalise que j’ai failli à avoir toute la retenue qu’exigeait ma fonction d’enseignant vis-à-vis d’une élève. J’imagine la douleur que ce manquement peut laisser dans le cœur d’un père soucieux de l’éducation de sa fille. Pour cette défaillance je tenais à vous présenter mes excuses.

Il écouta le méa culpa puis sans dire un mot, tourna les talons et s’en alla.

Conscient d’avoir frôlé le pire, Patrick décida de démissionner de son poste au lycée pour se consacrer à un projet qui lui tenait à cœur : une thèse de doctorat en vue d’une carrière universitaire.


Outrage à l’amour (I)

Credit image: pixabay.com

Ce matin-là, Patrick déploya par réflexe son bras vers le téléphone à son chevet pour arrêter ce réveil qui chaque jour l’arrachait au sommeil dès 5 heures. Ce fut pour lui un matin assez particulier. Sentant les fines mains de Yawa lui parcourir l’épaule, il se retourna dans son lit et découvrit sur le visage de la demoiselle un sourire ravageur auquel il rendit la pareille. Dans ce bonheur matinal qui le comblait, il avait de la peine à se lever. Avant de retrouver la routine de ses activités quotidiennes, il s’offrait encore le temps d’admirer les courbes envoûtantes  de la belle Yawa avec qui il venait de passer toute la nuit.

« Ah ! Quelle délicieuse nuit ! », pensa-t-il intérieurement en se rappelant du plaisir savouré la veille au contact de cette demoiselle qu’il convoitait.

Avec elle, il était en train de vivre une histoire improbable, une aventure que peu de gens pourraient tolérer. Enseignant de son état, il savait bien que l’entourage verrait d’un mauvais œil ce lien qui se nouait entre lui et Yawa, son élève de 17 ans en classe de première.

« Une histoire d’amour un peu à la Macron, vécue à l’inverse!» se disait-il pour cacher par une note d’humour, l’angoisse d’une liaison sans lendemain.

Patrick est un trentenaire doué pour les mathématiques auxquelles il doit sa carrière dans un lycée privé de Lomé. Il est certes le plus jeune du personnel enseignant, mais il reste quand même un vieillot devant sa belle petite Yawa. Il a cru pouvoir se contenir, refouler au mieux tout ce qu’elle lui faisait ressentir. Mais il trouvait en sa jeune élève ce charme irrésistible qui semblait le désarmer de jour en jour. Il y avait définitivement succombé la veille, un dimanche soir, où il l’a croisé au hasard en rentrant chez lui. Il rangea sur le bas-côté de la route sa voiture, en sortit, l’appela et l’invita à monter dans sa voiture. Ce qu’elle fit sans hésiter.

Yawa est une jeune fille pétillante qu’il connait depuis son entrée au lycée. Une année scolaire est vite passée où il a découvert le goût de Yawa pour l’art qui l’a conduit à intégrer le club de théâtre du lycée. Jamais il n’avait connu d’autre élève dont il se sentait aussi proche. Jamais Yawa n’avait eu un enseignant dont elle appréciait autant la compagnie. Entre eux, le courant semblait passer depuis une éternité.

En la croisant ce soir-là, il se mit à penser que le temps devenait leur allié en les rapprochant davantage. Pour lui, cette rencontre fortuite en dehors du cadre scolaire n’avait rien d’un hasard. Engouffrée tout sourire dans la berline, elle salue son enseignant d’une voix chaleureuse. A la question de savoir ce qu’elle faisait dans les parages, elle explique qu’elle venait de rendre visite à une amie.

-Ah bon hein ! Moi je t’ai fait quoi pour que tu refuses de me rendre visite ? J’ai la tête de quelqu’un qui a la peste ?

Répond Patrick en prenant un air taquin.

-J’aimerais bien te faire connaitre mon domicile. Qu’en dis-tu ?

Visiblement embarrassée, Yawa observa un bref silence avant de donner son accord, puis précise qu’il lui faudra rentrer avant qu’il ne se fasse tard. Après quelques minutes de route, les voilà à destination. Ensemble ils se dirigèrent vers un immeuble de 4 étages, montèrent par les escaliers au premier étage où Patrick ouvrit une porte donnant accès à son appartement. Dans une petite pièce faisant office de salon, il la fit asseoir sur un canapé en cuir et lui servit du vin. Ils prirent tant de plaisir à parler de tout et de rien, que le temps parut court. Installée tout près de lui, elle lui parlait avec passion de son rôle pour la prochaine pièce de théâtre en préparation au lycée. Pendant ce temps Patrick sentait son regard se perdre dans le sien. Ses yeux étaient captivés par ses lèvres sur lesquelles il finit par poser les siennes. Yawa n’y opposa aucune résistance. Perdant tous le contrôle de leurs corps, ils s’entrelacèrent dans une nuit d’intense passion.

(Bon, là je vous laisse imaginer la suite. Ne comptez pas sur moi pour aller plus loin !)

A son réveil, Patrick prenait la mesure d’une situation qu’il redoutait. Il craignait pour son image au lycée et avait décidé, avec le consentement de Yawa, que cette histoire devrait rester leur secret à eux deux. Un secret de polichinelle sans doute, car la proximité entre eux depuis un an déjà les trahissait. De quoi éveiller des soupçons, et même la jalousie des jeunes lycéens qui avaient des visées sur Yawa.

Malgré tout, Patrick tenait fermement au sérieux dans le travail. Il s’est fait le serment de refuser toute complaisance quand il s’agissait de noter ses élèves. Il n’y avait pas meilleur moyen d’aider un élève que de lui attribuer une note à la juste valeur de son travail. Telle était sa philosophie. Yawa qui avait pour bête noire les maths n’en était pas épargnée. Pauvre d’elle qui espérait profiter de sa relation particulière avec son prof. En dépit du coup de main de Patrick dans ses révisions, elle multipliait des résultats catastrophiques. Désemparée et agacée par ce fiasco scolaire, elle ne cessait de lui reprocher vivement sa rigueur. Elle accusait Patrick d’être trop sévère dans ses évaluations, au point même de douter de son intérêt pour elle. Son agacement prenait des proportions telles qu’elle devenait de plus en plus distante.

L’intimité partagée dans l’appartement de Patrick avait disparu, autant que Yawa elle-même des cours de maths. A ses heures de cours Patrick retrouvait avec étonnement la place de Yawa vide. Ses appels pour avoir de ses nouvelles restaient sans réponse. Cependant une étrange rumeur se répandait dans toute l’école selon laquelle Yawa serait sexuellement harcelée par son prof de maths. Patrick restait serein jusqu’au jour où un homme, tenant en main une enveloppe, entra tout furieux dans sa classe. Sans dire le bonjour, il se mit à pester.

-Vous devriez avoir honte de vous-mêmes parce que vous n’êtes pas digne du titre d’enseignant. Vous devriez avoir honte d’abuser de votre position en harcelant ma fille. Le père que je suis aurait-il tort de vous confier l’éducation de son enfant? Je ne compte pas  vous laisser compromettre l’avenir de ma fille. Soyez en sûr.

Sur ces mots il lui jeta à la figure l’enveloppe avant de s’éclipser aussi vite qu’il est apparu.

Devant des élèves scandalisés, Patrick ouvrit l’enveloppe, en sortit un courrier dont il lut l’objet: une assignation en justice.

A suivre…


Le dialogue togolais pour les nuls

Le Togo, qui subit une vive crise politique depuis le 19 août 2017, voit  s’ouvrir aujourd’hui un nouveau dialogue entre ses acteurs politiques. Il n’y a pas plus familier que le mot dialogue dans l’histoire de ce pays, en passe d’enregistrer près d’une vingtaine de pourparlers politiques depuis 1991. Quelqu’un connait-il un pays qui ait fait mieux sur le continent ? Ceux qui peuvent se targuer d’égaler cette triste prouesse se comptent surement sur le bout des doigts. En tout cas, ce palmarès, dont je vous fais cadeau de la longue liste, mériterait une place dans le Guinness des records.

Ces nombreux dialogues dont déborde l’histoire politique ont eu lieu à des époques  différentes, mais tous sont liés par les mêmes enjeux. Ils cherchent à établir des règles plus consensuelles du jeu démocratique et des conditions propices à une alternance démocratique et pacifique. Aujourd’hui, c’est la question des réformes politiques (prévues à l’issue d’un ancien dialogue) qui est au cœur des tiraillements.

Après 26 ans de conciliabules sans résultat, le « dialogue » semble être devenu un vrai hobby politique. On pourrait même trouver matière à écrire le livre « le dialogue togolais pour les nuls ». Voici justement un petit aperçu de ce qui fait la marque de fabrique d’un dialogue à la togolaise.

L’art de choisir son vocabulaire selon le coté où l’on se trouve

Selon qu’elle veut conquérir le pouvoir ou le conserver, chaque partie esquive soigneusement  les mots de son interlocuteur au cours des discussions. Il faut à tout prix éviter de donner raison à la partie adverse de peur de perdre ses intérêts ou de se retrouver dans une position inconfortable. Aux raisonnements issus d’un camp s’oppose donc toujours un argumentaire différent, conçu pour correspondre à ce que veut l’autre camp. On se cache même, au besoin, derrière la nécessité du consensus, on use de subterfuges pour ne pas trop lâcher du lest.

Ainsi au sujet des réformes politiques et institutionnelles, quand les uns parleront de retour à la Constitution de 1992 et de ses conséquences immédiates, les autres parleront plutôt de révision de la Constitution, de référendum et de non rétroactivité de la loi.

Autant dire que dans un dialogue togolais, tout le monde a raison.

Faire semblant d’ignorer les solutions déjà trouvées

Ce qu’il y a d’extraordinaire chez ces acteurs politiques, c’est qu’ils continuent d’enchaîner les dialogues malgré un nombre important d’accords déjà passés. Quelles que soient les décisions déjà prises, ils finissent par se retrouver à nouveau autour d’une table de discussions pour chercher des solutions qui ne diffèrent pas vraiment des précédentes. Tout ceci revient à vouloir enfoncer une porte ouverte.

Un éternel recommencement qui est sans doute dû à la difficile application des conclusions issues de chaque dialogue. Les leaders politiques ne seraient pas là aujourd’hui à discutailler autour des réformes s’ils avaient su mettre en œuvre les conclusions de l’accord politique global et les recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation. Toutes ces mesures auraient suffi à tracer une voie pour une sortie de crise. Mais apparemment on préfère réinventer la roue.

Faire porter à l’autre le chapeau du fiasco

Chaque fois que les parties parviennent à un accord, les espoirs suscités sont aussitôt déçus. L’embellie née des accords fait place au fiasco puisque les changements escomptés peinent à s’opérer. La faute à qui ? Au pouvoir en place, ou plutôt à l’opposition. Là encore, tout dépend de quel côté vous vous trouvez. Bizarrement aucune des parties n’a jamais été de mauvaise foi et ne s’est jamais rien reproché quant à l’échec des dialogues. Le problème ne peut provenir que de l’autre camp, seul vrai coupable.

En tout cas on peut clairement constater que jusqu’ici les acteurs politiques ont conclu des accords pour ne faire que du surplace. On s’obstine à jouer la montre en traînant les pas quand il s’agit de passer des engagements aux actes concrets. Et le cycle infernal se poursuit.

On peut bien se demander à quoi ça sert de voler de dialogue en dialogue.

Qu’à cela ne tienne, il faudra tirer les leçons de toutes ces expériences pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs. Si jamais la lumière d’un accord jaillit de ce nouveau dialogue, il sera de bon ton que les parties définissent un chronogramme bien précis pour l’exécution des décisions prises. Ce qui nous épargnera tout le flou artistique dont les acteurs politiques ont seuls le secret. Il leur faudra une certaine dose de bonne foi et d’ouverture d’esprit pour mener un dialogue qui ne ressemble pas à un simulacre.

Pour nous autres qui sommes de l’autre côté des caméras et des salles de discussion, il ne reste plus qu’à croiser les doigts dans l’espoir que ce dialogue soit différent du type de dialogue qu’on nous a déjà servi. Il ne nous reste plus qu’à prier pour que ce dialogue ne compte pas pour du beurre comme les autres, et marque un pas décisif vers la sortie définitive d’une crise dont le citoyen lambda a assez souffert.