De Y’en a marre au Balai citoyen, cette jeunesse africaine qui prend le pouvoir

3 novembre 2014

De Y’en a marre au Balai citoyen, cette jeunesse africaine qui prend le pouvoir

Logo des deux mouvements credit: diasporas.fr et facebook.com/balai citoyen
Logo des deux mouvements credit: diasporas.fr et facebook.com/balai citoyen

C’était depuis mon quartier de cacaveli à Lomé, avec les écouteurs branchés à l’oreille que je m’enquérais via la radio de l’évolution du scénario burkinabè digne du printemps arabe ou plutôt du printemps désormais noir. Comme beaucoup de jeunes dans une Afrique où la démocratie balbutie encore, je suis saisi d’admiration pour le courage d’un peuple qui a jugé bon de retirer un pouvoir dont il est le seul détenteur. La chute historique de Blaise Compaoré est un évènement qui prouve la force qui réside dans l’engagement citoyen des jeunes incarné par le mouvement du Balai Citoyen qui emboite le pas à Y’en a marre du Sénégal.
Si les jeunes burkinabè ont réussi à arracher la destitution de Compaoré, c’est en partie grâce au travail mené en amont dans le pays par les promoteurs du Balai citoyen.
Deux mouvements, un même combat
L’historique du Balai citoyen lancé en juillet 2013 par le rappeur Smockey et le chanteur de reggae Sams’k le Jah est semblable à celui du Y’en a marre sénégalais. En 2011 au Sénégal le délestage, la gabegie et les abus de Wade avaient entrainé la naissance de Y’en a marre. Au Burkina également ce sont presque les mêmes problèmes socio politiques qui ont motivé l’éclosion du mouvement. Les deux artistes burkinabè ont alors senti le besoin de dénoncer les difficultés sociales liées aux coupures de courant et s’opposer au projet de modification de l’article 37 de la constitution. Y’en a marre et le Balai citoyen sont donc tous deux animés d’une même vocation: se mettre à l’avant-garde de la défense des valeurs démocratiques et citoyennes. Ils représentent d’après moi une veille citoyenne pour la bonne gouvernance.
Ce qui est encore intéressant est que leur combat ne se limite pas à la contestation pacifique mais consiste aussi à faire connaitre au citoyen ses devoirs. Le concept NTS (nouveau type de sénégalais) de Y’en a marre illustre bien l’idée de promouvoir la conscience citoyenne. Pour Fadel Barro, un des fondateurs, le NTS est le citoyen qui « ne laisse pas traîner les sachets plastiques, n’urine pas dans la rue, ne monte pas dans un car rapide surchargé, ne brûle pas des pneus quand il est mécontent». Après le départ de Compaoré il était intéressant de voir les membres du Balai citoyen balayer les rues et appeler la population à faire de même.

Ceci dit, le citoyen qui prétend contester la mal gouvernance doit d’abord être un bon exemple.
Le pouvoir de la jeunesse
Mais ce qui saute aux yeux dans les deux cas, c’est le fait qu’il s’agisse d’une initiative prise par des jeunes et qui est appropriée par les jeunes qui forment d’ailleurs la majorité de la population. Forte de son poids démographique, la jeunesse a pu faire changer le cours de l’histoire.
On se souvient qu’à l’appel du mouvement Y’en a marre les jeunes sénégalais se sont inscrit massivement sur les listes électorales. A défaut de dissuader Abdoulaye Wade de se présenter au scrutin de 2012 après deux mandats, les jeunes ont quand même réussi par leur vote décisif, à faire blocage à un 3ème mandat d’Abdoulaye Wade. Les jeunes burkinabè aussi grâce à leur mobilisation ont pris conscience de leur pouvoir de pression. Aujourd’hui chaque jeune burkinabè qui a été de ceux qui ont manifesté à mains nues contre la tentative de coup de force de Compaoré jouit d’un sentiment de fierté pour avoir ouvert une nouvelle page de l’histoire nationale. Le chômeur dans sa précarité, l’étudiant dans sa fougue n’oublieront jamais qu’ils ont fait basculer le sort de leur pays en mettant fin à 27 ans de règne sans partage. Ainsi se révèle une jeunesse qui reprend confiance en elle.
L’éclosion d’un nouveau contre pouvoir
L’incidence des actions menées par ces mouvements fait apparaitre un nouveau contre pouvoir pour les gouvernants du Sénégal et du Burkina.
Au Sénégal malgré l’appel lancé aux électeurs à voter contre Wade au second tour de l’élection de 2012, Y’en a marre a pris soin de garder ses distances avec le président Macky Sall. Les leaders du mouvement voulaient tirer les leçons du passé où la société civile après avoir soutenu l’opposant Wade, fut finalement déçue par sa gestion du pays. A cause de son importante contribution à la lutte pour l’alternance, Y’en a marre est une voix qui compte aux yeux du nouveau gouvernement.
Fidèle à sa vocation, Y’en a marre continue en toute indépendance d’interpeler les autorités sur les besoins socioéconomiques et d’appeler les populations à cultiver la responsabilité citoyenne. En juin 2014 il a lancé une plateforme de gouvernance participative dénommée « le site web du monitoring » qui offre aux citoyens de témoigner et s’exprimer sur la gestion des affaires publiques ou des faits de société.
En ce moment où la démocratie est à reconstruire et où les institutions sont fragiles au Burkina, le Balai citoyen se présente un peu comme une sentinelle de la démocratie. Il faudra compter avec elle pour prévenir toute atteinte aux aspirations démocratiques du peuple.
Frantz Fanon disait :

« chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir ».

Ces mouvements sont une source d’inspiration pour la jeunesse africaine qui ne devrait plus laisser les autres décider à sa place surtout quand c’est son avenir qui est en jeu.

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Commentaires

diane
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Bonjour,

journaliste à la radio Le Mouv' je réalise un reportage suite aux événements au Burkina Faso. J'essaye de savoir si l'exemple du peuple burkinabé peut donner des idées à d'autres peuples dans la même situation. Dans cet article sur votre blog vous disiez que c'était un espoir. A votre avis est-ce quelque chose de possible au Togo?

Merci de me répondre quand vous avez ce message, peut-être pourrions nous faire une interview à ce sujet?
diane.ferchit@radiofrance.com

Merci beaucoup !
Diane

Eli
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Merci de votre intérêt pour la problématique. Je pense qu'il serait trop hâtif de penser que ces évènements se reproduiront systématiquement dans d'autres pays africains.
Beaucoup de ces pays connaissent des crises politiques mais les réalités du Burkina ne sont pas forcément celles du Togo. Je pense tout de même que les jeunes
qui forment la majorité de la population devraient peser davantage sur les décisions qui engagent l'avenir de leur pays. Pour l'heure leur voix n'est pas suffisamment prise en compte dans la gouvernance de la société.