Togoville story 1: les plaies béantes de la Grande Guerre

13 août 2014

Togoville story 1: les plaies béantes de la Grande Guerre

Le graffeur Trez à l'oeuvre au palais royal de Togoville credit photo: Ras Sankara
Le graffeur Trez à l’oeuvre au palais royal de Togoville
crédit photo : Ras Sankara

Le week-end dernier a été pour moi, chers lecteurs, un moment de découverte que je ne saurais m’empêcher de relater. J’ai donc choisi d’y consacrer une série de deux articles dont voici le premier. La semaine passée, en lisant sur ma page Facebook une invitation à participer à la 22e édition d’«Arctivism»-initiative culturelle dont j’avais parlé dans un article précédentj’étais loin d’imaginer la portée historique de l’évènement.

annonce de l'évènement
Au-delà du programme que je trouvais alléchant, j’étais d’abord motivé par le lieu choisi pour la circonstance : Togoville, ville que j’ai connue dans mon enfance et qui figure d’ailleurs parmi mes 10 merveilles du Togo. Elle est considérée comme le berceau du Togo pour avoir abrité en 1884 la signature d’un traité de protectorat entre le roi Mlapa 1er de Togoville et l’allemand Gustave Nachtigal. Je voyais donc dans cette initiative une belle occasion de changer d’air, m’évader vers un environnement naturel loin du vacarme urbain.

A la lumière des explications des organisateurs, je réalise qu’il n’y avait rien de fortuit dans le choix du lieu et de la date (8 au 10 août). En effet, tout en mettant en lumière la pensée de Joseph Ki-Zerbo l’initiative s’inscrivait dans le cadre de la commémoration de l’agression française du palais royal de Togoville pendant la Grande Guerre dans la nuit du 8 au 9 août 2014. Avec moi, artistes et jeunes curieux issus d’horizons divers embarquaient alors pour Togoville que nous retrouvons en pleine nuit après une stressante traversée du lac Togo.

Une requête contre la « France politique » et non la « France citoyenne »

Le soir même de notre arrivée, nous nous rendons au palais royal de Togoville pour un entretien avec le prince  Plakoo Mlapa. Au bout de quelques minutes d’attente dans la chambre d’hôtes on nous fait signe de nous lever pour saluer l’arrivée du prince. Un homme vêtu d’un pagne blanc escorté d’une dizaine d’hommes et femmes faisait alors son entrée. C’était le prince et ses notables. A sa demande nous nous rasseyons pour enfin entamer notre discussion.

Ses déclarations sur les évènements d’août 1914 à Togoville qu’il qualifie de « tragédie » m’ont fait découvrir une partie occultée de l’histoire de la Grande Guerre au Togo. J’apprenais que l’agression de Togoville en 1914 avait fait l’objet d’une lettre que le prince a adressée à Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU. Il y dénonçait l’agression « sans déclaration de guerre préalable » d’un territoire neutre par les forces alliées. Face à un fait qui caractérise selon lui une violation du droit international, il demande dans sa lettre réparation par la France et la Grande-Bretagne des crimes commis à Togoville pendant la Grande Guerre. Il s’agit selon ses propres termes d’une requête dirigée contre la « France politique » et non la « France citoyenne ».

Un devoir de mémoire

Même si la requête n’aboutissait pas à une réponse favorable de l’ONU, elle aura eu le mérite d’attirer l’attention de l’opinion publique sur la nécessité d’un devoir de mémoire sur les blessures causées par la grande guerre tant en Europe qu’en Afrique.
Les violences de la guerre à Togoville ont ouvert des plaies qui restent toujours béantes. En réalité la population a été dépouillée d’une grande partie du patrimoine royal par les occupants. La stabilité politique s’est trouvée profondément affectée. Togoville connaît des dissensions internes à cause de la revendication du trône royal par un autre groupe de personnes.

Malheureusement, cette phase douloureuse de l’histoire de la Grande Guerre au Togo est largement méconnue. Rares sont les Togolais qui en ont déjà entendu parler. Avant le week-end dernier je faisais moi-même partie de cette masse qui ignore tout des ravages de cette tragédie au Togo. Ce n’est pas de notre faute puisque l’école togolaise censée éclairer les jeunes générations sur l’histoire nationale ne joue pas son rôle.

Je me rends compte que toute l’histoire africaine ne se trouve pas dans ces cours que j’ai ingurgités au collège et au lycée. Il m’aura donc fallu un séjour à Togoville pour comprendre que l’Afrique -oubliée de la commémoration de la Grande Guerre-a autant souffert que l’Europe de cet évènement. Il est donc temps dans ce pays de restituer toute l’histoire aux citoyens que nous sommes, car nous avons besoin de tirer les leçons de notre passé pour mieux faire face aux défis d’aujourd’hui.

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