La Francophonie, Molière et les langues nationales

Article : La Francophonie, Molière et les langues nationales
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20 mars 2019

La Francophonie, Molière et les langues nationales


Écolier malien
Photo: Olivier EPRON, Février 2005 (source: wikipedia.org)

Aujourd’hui c’est jour de fête pour la Francophonie. Au-delà du fait que le français représente un patrimoine commun pour les pays membres, l’espace francophone est aussi marqué par une grande diversité de cultures, et de langues. Loin de vouloir gâcher la fête, je me permets à cette occasion de placer ici un mot sur la place des langues nationales dans les pays africains francophones.

Cela ne vous aura pas échappé que le français est la langue officielle de ces pays. Mais sur ce point je préfère relativiser depuis que j’ai reçu en pleine figure, lors de mon premier séjour à Dakar, une leçon que je ne suis pas près d’oublier.

La leçon de Dakar

Arrivé tout enchanté dans la capitale, je pensais déjà à comment profiter pleinement du séjour puis tout à coup je constate un pétit bémol en ouvrant ma valise.  Un des pantalons qui y étaient rangés avait la braguette endommagée. (Ne pas rire trop fort hein. Que le premier gars qui n’a jamais connu ça me jette la première pierre). Je le mis alors rapidement dans un sac et partit à la recherche d’un couturier. Un mal pour un bien, avais-je pensé car en bon touriste curieux, je pouvais commencer à découvrir la ville en arpentant les rues dakaroises. Au bout de plusieurs minutes de marche, j’entreprends de demander à un commerçant se tenant devant sa boutique près du trottoir.

« Bonjour. Connaissez-vous un couturier dans les parages ? »

A ma grande surprise, il me fait une réponse en wolof accompagnée d’un hochement de tête qui me fait deviner qu’il ne pouvait rien pour moi. Je tente encore de me renseigner auprès d’un passant et rebelote. Il me répond aussi dans un wolof dont je ne comprenais pas un seul mot.

Sur le coup je me croyais embarqué dans une mission impossible mais je finis par trouver une issue heureuse quand quelques mètres plus loin je tombai sur un jeune homme qui m’indiqua du doigt un petit atelier de couture de l’autre côté de la route.

Quand venait le moment de m’adresser à un chauffeur de taxi et de négocier le tarif, j’ai dû mon salut à la formule courante apprise à travers Samantha, habitante de Dakar : « nanga deff…niatala* ? »

J’en ai retenu que ce pays était en réalité plus wolophone (si vous permettez le terme) que francophone.

A quoi nous sert la langue de Molière ?  

J’ai été bien impressionné par la domination flagrante du wolof, mais je dois admettre que même à Lomé le français n’est pas aussi roi qu’on peut le penser. Il est certes présent à l’école, à l’université, sur les médias ou dans les milieux professionnels mais ce que j’entends au quotidien dans la rue n’est pas tout à fait la langue chère à Molière. J’ai plutôt l’habitude d’entendre un patois, un savant mélange du mina* et du français. Et en quittant la ville pour les villages, je me rends compte que là-bas, les gens s’expriment plus aisément en leurs propres langues qu’en français qui semble réservé aux non-autochtones.

Maîtriser sa langue c’est bien mais quand on ne comprend que celle-là, on peut se retrouver  handicapé dans certaines situations. On peut se sentir limité dans ses rapports avec le monde extérieur. L’expérience vécue à Dakar me fait d’ailleurs penser qu’avec nos langues nationales, il est encore plus difficile de communiquer avec des étrangers. On se fait mieux comprendre des gens issus d’autres peuples d’Afrique et d’ailleurs avec le français, pour la simple raison que cette langue est plus parlée dans le monde que le wolof ou d’autres langues nationales. C’est en tout cas une réalité indéniable que le français que nous avons en partage dans l’espace francophone fait partie des langues internationales, des langues officielles de l’ONU (pourquoi pas le swahili*?).

En raison de la place du français dans le monde, son apprentissage et son usage ne présentent pas seulement un enjeu culturel. Il est aussi question d’enjeu géopolitique selon les intérêts de tel ou tel autre pays. Comme en témoignent l’adhésion du Ghana, pays anglophone, à l’OIF en tant qu’Etat associé, l’enseignement obligatoire du français du cours primaire au secondaire envisagé par le président ghanéen, et la nomination à la tête de l’OIF de Louise Mushikiwabo du Rwanda, où le français n’est que la 3ème langue officielle. Le Ghana entouré de pays francophones et le Rwanda plus ouvert à la coopération française y trouvent surement leur compte.

Que faire de nos langues nationales ?

En Afrique francophone, la nécessité de savoir lire, écrire et s’exprimer en français va de soi, mais elle ne devrait pas pour autant faire oublier la place des langues nationales. Malheureusement j’ai l’amère impression qu’au Togo, la primauté de la langue de Molière, seule langue de travail et principale langue d’enseignement a conduit la plupart à porter un regard condescendant sur les langues nationales. Elles semblent méprisées dans les espaces de débat public, par certains médias et dans les lieux de diffusion du savoir. Il y a même des écoles où les enseignants se vantent de punir des élèves s’exprimant en langues locales. De quoi me faire oublier que ces langues sont quand même programmées dans l’enseignement comme matières facultatives.

Pourtant chaque fois que je retrouve la revendeuse d’ayimolou* bien chaud pour m’offrir un bon plat matinal, ce n’est pas en français que je passe ma commande. Rares sont ses clients qui le font d’ailleurs même si la revendeuse comprend bien le français. C’est dire que les langues locales restent bien présentes dans notre quotidien.

Je ne suis pas pour une guerre des langues (qui ne sont pas logées à la même enseigne de toute façon). Je pense qu’au Togo comme dans d’autres pays, il serait judicieux d’assumer la place des langues nationales dans nos sociétés et leur valeur en tant qu’éléments du patrimoine culturel.

Certains pays l’ont compris. Le wolof et d’autres dialectes ont leur place au parlement. Depuis bien des années au Sénégal ou au Ghana par exemple, il n’est pas rare qu’un président s’exprime en langue locale sans le moindre complexe.

Pour exister culturellement, ces pays tout en restant membres à part entière de la francophonie, auraient intérêt à faire vivre les langues nationales dans leur système éducatif et dans les livres. Je ne sais pas s’il y a au moins une œuvre déjà écrite dans une langue locale, à part la bible et le dictionnaire. Pourquoi ne pas en produire davantage ou traduire des œuvres d’auteurs togolais ? Encore faudrait-il que les uns et les autres sachent lire dans ces langues. On aura beau produire des livres en éwé* ou en kabyè* mais tant que l’apprentissage des langues locales  ne sera pas systématique, ces œuvres ne serviraient à rien.

Il ne s’agit pas forcément d’en faire des langues officielles au même titre que le français. Pas tout à fait évident pour des pays qui comptent une kyrielle de langues. Il s’agit plutôt d’œuvrer à évoluer d’un regard condescendant à un regard décomplexé sur ces langues qui font partie intégrante de ce qui nous définit.

Et qui sait ? Peut-être qu’en y parvenant un jour dans mon pays, on pourrait voir le président ou son ministre s’adresser publiquement à ses concitoyens en éwé, kabyè* ou kotokoli* si ça le chante.

Gbégné djanyi* !

Nanga deff…niatala?* : Bonjour…c’est combien? (en wolof)

Mina*: Langue parlée au sud du Togo et du Bénin

Swahili*: Langue d’origine bantoue qui compte le plus grand nombre de locuteurs en Afrique

Ewé*: Langue parlée au sud du Togo et du Ghana

Kabyè*: Langue parlée au nord du Togo, du Bénin et du Ghana. Elle est attribuée au peuple du même nom (kabyès)

Kotokoli*: Langue attribuée aux Tems, un peuple de la région centrale du Togo.

Ayimolou*: mélange de riz et d’haricot, très consommé à Lomé.

Gbégné djanyi*: Littéralement en français « ma parole est tombée ».  Expression utilisée en mina pour marquer une conclusion.

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Commentaires

Eléonore
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Il serait intéressant de voir nos autorités parler en langues locales. Certaines radios comme Nana FM font des interviews en langues, faudrait que d'autres emboitent le pas et surtout la télévision nationale. Très bel article.

Eli
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Je partage cet avis. Je crois que la TVT avait initié des émissions en langues locales mais je ne sais pas si ça continue toujours. Il faudrait en tout cas une promotion qui fasse comprendre que ces langues sont des vecteurs de communication au même titre que le français. Cette diversité est plutot une richesse. Merci Eléonore.

Mawulolo
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Au Sénégal, tous les discours officiels du Président de la République à l'endroit des populations sont toujours en Français puis en Wolof.
La majorité, ici, ne comprend pas forcément français comme on peut le croire --> https://bit.ly/1K6W4H0
Par ailleurs, le Wolof est une langue véhiculaire qui aide à communiquer quelque soit l'ethnie. Un peu comme le Mina au Togo. Malheureusement nos Etats sont défaillants dans le soutien et la vulgarisation des langues et les langues issues de la colonisation s'intègrent rapidement dans les nôtres. Pouvait-il en être autrement surtout que des nouveaux mots apparaissent dans le monde et nos langues ne suivent pas. Les mots issus des nouvelles technologies en sont un exemple...

Eli
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Effectivement cher aîné. Cette absence de vulgarisation par les États s'explique en partie par leur regard encore condescendant, selon moi. D'ailleurs je ne sais pas si le taux de 29% de francophones au Sénégal dont parle ton article a évolué. Mais si c'était le cas, ça ne m'étonnerait pas vu que le niveau de promotion des langues nationales reste insuffisant.